Jean-François JACQ Jean-François Jacq

Bijou. Chronique KR'TNT #189

Beau cadeau dans les nouveautés de la semaine. Un livre sur Bijou. Je passe commande sans réfléchir. Sur la photo, le livre ne paraît pas très épais. Enfin mieux vaut une petite monographie que rien du tout. Juste une illusion, une fois dans la main, il pèse son pesant d'or. Logique, Bijou ce n'est pas de la pacotille, et le bouquin avoisine les trois cents pages, c'est rempli de textes à ras-bord, un cahier photos inédites au milieu, et une belle préface de Laurent Chalumeau.

Bijou a brillé de mille feux, mais le coffret refermé, le diadème s'est terni, et on l'a un peu oublié. Et pourtant, Bijou fut en quelque sorte le premier groupe français. Entendons-nous, chronologiquement l'a été précédé d'une myriade d'autres, question ventes il n'a pas vraiment cassé trois pattes à un canard. Non, Bijou a été le premier groupe français à faire jeu égal avec les anglais. Les âmes chagrines et les esprits requins jetteront Magma et Little Bob Story aux deux premières places. Pour Magma la question sera vite réglée, un orchestre kolossal, mais qui officiait dans une sphère musicale très éloignée du rock'n'roll, quelque part entre Stockhausen et le jazz d'avant-garde. On peut les laisser en orbite sur la planète Kobaïa, ils y sont très bien et à leur place. Little Bob est un concurrent plus sérieux. Jean-François Jacq ne peut s'empêcher de lui jeter quelques piques, l'est vrai que le prétendant à la couronne du rock français n'est pas sans quartier de noblesse, mais sans vouloir rallumer la guerre de cent ans, il faut se rappeler que Little Bob a choisi de s'exprimer, le traître, en anglais. Qui est la langue naturelle du rock'n'roll, mais enfin nous parlons de rock'n'roll français !

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Le rock'n'roll français doit-il être chanté en français ou en anglais ? Question sans intérêt, que ce soit en langue shakespearienne ou rabelaisienne, débrouillez-vous pour que ça sonne bien. Faites comme vous le sentez. Oui Bijou s'est exprimé en français, naturellement serait-on tenté de dire, mais s'il s'est imposé à son époque si facilement aux groupes anglais, cela tenait beaucoup plus à ses qualités intrinsèques qu'au fol langage de François Villon.

 

UN GROUPE FRANCAIS

 

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Le bon vieux terroir national. Rien à voir avec la France agricole et paysanne. La banlieue Sud, Savigny-sur-Orge, Juvisy, Longjumeau, à la fin des années cinquante et au début des sixties on y plante des HLM, et on récolte toute une génération de rockers. Des rockers français, bien de chez nous, qui écoutent Gene Vincent et Johnny Hallyday, tous petits ils s'accrochent à leurs transistors comme à une bouée de sauvetage, le monde peut changer, eux ils resteront rock jusqu'à la fin de leur vie, et même s'ils se marient et se rangent, car ils ont transmis le flambeau aux petits frères... Blousons noirs et Golf-Drouot, le rock n'a pas dix ans d'âge qu'il possède déjà ses mythes et ses légendes.

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C'est en ces lieux que grandissent les futurs mousquetaires de Bijou. Sont encore des cailloux mal dégrossis, mais ils vont persévérer. L'on n'atteint pas à la brillance souhaitée, sans rouler quelque peu sa bosse dans le lit torrentiel du rock'n'roll, de groupe en groupe, d'expérience en expérience, des mois et des mois de galère, de répétitions, de concerts improbables avant de maîtriser son instrument, et d'intégrer tout l'héritage de la culture rock, des Chaussettes Noires aux Pub Rock, des pionniers au prog, les tsunamis se succèdent, rock instrumental des rosbeef, British Blues, révolution hendrixienne... un groupe phare tous les trois mois, sans oublier les cuivres de chez Stax, le glam, la décadence et la naissance du hard, et n'en jetez plus. Plus qu'il n'en faut pour une oreille humaine. Heureusement nous possédons un cerveau qui permet de prendre du recul, d'analyser, de rejeter de choisir...

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Au final ils se retrouvent à quatre. Comme les mousquetaires. Trois plus un. Dynamite à la batterie, Vincent Palmer à la guitare, Philippe Dauga à la basse. Formule minimale. Ils avaient un chanteur. S'en sépareront quand la mayonnaise commencera à prendre. Pas par méchanceté. Par nécessité. L'alcool l'a rendu trop instable... C'est un plus, le groupe se ressoudera d'autant plus sur lui-même. Sont trop peu nombreux pour ne pas faire bloc. Si en 1975 le groupe percutera si fort c'est avant tout grâce à cette cohésion orchestrale durement acquise, engoncés sur eux-mêmes comme un poing fermé qui vous désarçonne au premier coup. C'est un moins, le chant restera la grande faiblesse de Bijou, pas que Palmer et Dauga qui s'y collent aient démérité, mais à la base ce ne sont pas des chanteurs.

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L'en reste un, Jean-William Thoury, l'homme à tout faire ( ce qui laisserait supposer que les autres ne feraient rien ) chauffeur, parolier, un oeil sur les projos, une oreille sur la sono... De visu pour un peu on le prendrait pour le larbin de service. Mais c'est la tête pensante, pas celui qui réfléchit à tout pour ne rien oublier, non le stratège. Celui qui a tout compris, que dans un groupe de rock, les musiciens ne sont que la cinquième roue de la charrette, s'ils avancent au petit bonheur la chance, saisissant les occasions quand elles se présentent. Alors que l'on se doit de savoir à l'avance ce que l'on veut. On ne profite pas de l'opportunité des circonstances, on la crée de toutes pièces. Le rock est une question de maîtrise. L'on calcule la musique, on définit l'image, on n'avance jamais à l'aveuglette. On pourrait le comparer pour la partie d'échec qu'il entreprend avec le monde du showbizz à Malcolm McLaren, le prodigieux metteur en scène des Sex Pistols.

 

INTEGRITE ROCK

 

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A part que Jean-William Thoury – en parfait accord avec les trois autres – ne désire aucunement monter l'arnaque rock'n'roll du siècle. Refusent d'être des escrocks. Entendent simplement être et devenir ce qu'ils sont. Au grand jeu du poker menteur de la vie, ils posent tout sur la table : chantent en français parce que yaourter en anglais est peut-être plus difficile et moins évident, et quelque part une manière de se singulariser tout en restant fidèle à soi-même par rapport à tous ces french group qui scandent in english. L'idiome comme une ligne de démarcation, et comme affirmation non négociable.

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Normalement les maisons de disques devraient se précipiter, elles qui s'obstinent à ce que leurs artistes soient accessibles à la plus large portion du public. Il n'en fut rien. L'on n'apprend pas à un voleur à se faire prendre. Les majors ont du flair, ces quatre zozos ont bien d'autres idées derrière la tête, vont vouloir tout diriger, le contrôle total sur leur production. Le Thoury n'est pas un touriste qui se laissera manoeuvrer facilement. Elles se méfient.

Mais Jean-William s'entête, il veut une major. Ou rien d'autre. Pas de minuscule label qui n'offrirait pas un studio digne de ce nom, même pas Skydog de Zermati, le label rock par excellence, car trop connoté pour un public de spécialistes et aux garanties de distribution improbables... Veut être présent sur l'ensemble du territoire. Les musicos le méritent.

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Et c'est vrai que le bouche à oreille fonctionne. Bijou n'a pas enregistré un seul disque que déjà son nom circule dans toute la province – j'en peux témoigner pour la ville rose de Toulouse – sur la foi de rares témoins qui ont eu la chance d'assister aux premiers concerts. C'est que les amateurs de rock bouillonnent. L'on sent que quelque chose est en train de monter, que les New York Dolls et Dr Feelgood ne sont que des signes avant-coureurs. Londres est en pleine effervescence. C'est pourtant en France que l'étincelle rock va mettre le feu à toute la plaine punk. A Mont-de-Marsan au beau mois d'août 1976... Bijou tirera les marrons de l'incendie, une prestation remarquable, répétée l'année suivante, qui mettra le feu aux poudres.

 

BIJOU PUNK

 

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Les évènements se précipitent si rapidement, ils sont si difficiles à cerner que durant plusieurs mois on mêlera Bijou à la nomenclatura punk. Tant que les Pistols n'auront pas défini à leur avantage les canons du punk, tout ce qui apparaît un peu trop rentre-dedans sera catalogué comme pure punk. Mais Bijou reste avant tout un groupe de rock. N'ont pas la banane, mais ils soignent leur mise – il n'existe pas de photo d'Eddie Cochran en tenue négligée ont-ils l'habitude de dire – rock, mais trop mods pour être rockers, le look mais pas les loques, les épingles à nourrice et le débraillé punk, ils rejettent en bloc...

Musicalement c'est un mix entre les Chaussettes Noires et les Flamin' Groovies – Bijou a fini par trouver un groupe à son image, les Flamin' qui envoient la purée tout en restant classe, le grand style, la fureur et l'élégance. Destroy mais en costume trois pièces. Sont trois mais Bijou repose sur Vincent Palmer. Le guitariste, la guitare, le son. La discographie de Bijou est parsemée d'instrumentaux. Bijou n'a jamais renié ses origines. L'ombre des Shadows les poursuit. La revendiquent, mais la guitare claire de Marvin est un peu customisée, parfois elle gronde comme celle de Keith Richards sur Have You Seen Your Mother Baky Standing In The Shadows, mais Palmer ne se laisse jamais déborder par l'amplification du son, joue serré, très serré, cherche avant tout la maîtrise, change de plan comme de lunettes noires. Aujourd'hui Bijou tourne encore, sous le nom de Bijou SVP, acronyme de Sans Vincent Palmer, mais c'est comme une bouteille de whisky sans whisky...

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Sur scène Palmer n'est guère statique, avec Philppe Dauga à la basse ils ont un jeu d'avancées et de reculades qui n'est pas s'en rappeler celui du premier Feelgood avec Wilko Johnson. Nerveux, incisif et jamais en difficulté, rapide et jamais en défaut, Palmer est un plaisir à voir ( vidéo sur You Tube ) et à écouter. Inventif mais sans une note de trop, vise à l'efficacité, jeu sans esbroufe, mais percutant.

 

BIJOU DISCOG

 

Parviendront enfin à décrocher une signature chez Phonogram, via Philips. Auront ce qu'ils auront voulu. C'est à dire qu'ils se font avoir. On leur concèdera leur liberté de création puisqu'ils y tiennent. Mais la liberté a un prix pour lequel Philips refusera de s'engager. On distribuera les trente-trois dans les bacs à disquaires mais pour la promotion radio et le battage médiatique, inutile de repasser. Le retour sur investissement sera très bon pour Philips puisqu'ils n'investissent rien, pour Bijou, ce sera la grosse déception.

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Pathe-Marconi ne lésinera pas sur les moyens pour imposer Téléphone, le concurrent direct de Bijou. Pas musicalement, car Téléphone est beaucoup plus Stone que Bijou, qui sonne beaucoup plus pub-rock. Mais un pub-rock qui aurait gommé ses racines noires. Bijou ne sera jamais un groupe grand public, sera le combo pour aficionados. Au bout de quatre trente-trois tours, l'unité idéologique de Bijou se lézardera. Dauga pensant qu'il serait plus rentable de céder les titres à un éditeur qui aurait intérêt à les commercialiser à outrance. L'expérience ne lui donnera pas raison.

Les titres des cinq premiers albums de Bijou suffisent à cerner l'univers du groupe : Danse Avec Moi, OK Carole, Pas Dormir, En Public, Jamais Domptés, plaisir des filles, la scène comme champ de bataille, orgueil rock attitude, un programme qui ne tranche en rien avec les paroles des grands rockers nationaux : Hallyday, Rivers, Ronnie Bird, Noël Deschamps... Jean-Williams Thoury s'inscrit dans une tradition populaire qu'il continue. Il est dommage que ses textes n'aient pu bénéficier d'un chanteur qui les aurait davantage théâtralisés par le seul grain de sa voix. Le LP Pas Dormir enregistré sous la houlette des frères Mael du groupe Spark qui ont malheureusement gommé les aspects les plus durs des morceaux est le seul qui rende quelque peu justice aux voix de Dauga et Palmer mises en avant puisque les parties instrumentales ont été édulcorées.

N'ai jamais été grand fan de Gainsbourg. Pas assez rock à mon goût. Trop chanson française. Gainsbourg aura vampirisé Bijou. La collaboration des deux artistes aura plutôt brouillé l'image du groupe patiemment mise au point par Jean-Williams Thoury. Cet épisode aura précipité la perversion des goûts d'un public qui au début des années quatre-vingt commence à abandonner le gros rock qui tâche pour de doucereuses sucrettes : reggae, world music...

 

THE END

 

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C'est le reflux. Le rock recule, les salles ferment... Bijou ne survivra pas à la crise : le groupe s'effiloche, pire Bijou n'est plus à la pointe du rock français, le renouveau rockabilly qui s'installe doucement mais sûrement capte à lui toute une partie du public rock qui était la base des fans de Bijou. Qui suit le mouvement : le groupe enregistre Bijou Bop, ce n'est pas un retour aux sources, plutôt le serpent qui se mord la queue... La boucle se referme. Bijou explose. Tout le reste de l'histoire ne sont que les débris que la comète entraîne dans sa révolution.

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Bijou a disparu des consciences. Jean-François Jack ressuscite la légende. Un travail de titan qui fourmille d'anecdotes et de détails, mais surtout une admirable reconstitution d'une époque révolue. Un superbe cadeau pour les générations futures qui voudront se pencher sur la naissance du phénomène rock en France, avec en prime la relation du parcours exemplaire d'un groupe appelé à devenir encore plus culte grâce à ce livre.

 

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