Jean-François JACQ Jean-François Jacq

Hémorragie à l'errance (chronique)

Octobre 2015. KR'TNT # 252. Chronique " Hémorragie à l'errance "

Hémorragie à l'errance - Jean-François Jacq - L'harmattan

" L'Heautontumoroumenos baudelairien *. Le romantisme et la pause en moins.

A lire. Pour ceux qui douteraient qu'il existât une littérature qui ne soit pas d'insignifiance ".

* référence au poème du même nom de Charles Baudelaire, tiré de Spleen et idéal, in Les fleurs du mal. 


Des histoires qui ne s'achèvent jamais. Quand bien même seraient-elles terminées depuis très longtemps. Obsédantes. Des fantômes qui vous hantent. Reprendre la piste, remettre ses pas dans ses propres pas s'avère une nécessité. Pour mieux mesurer l'écart effectué, pour mieux s'assurer que l'on ne cauchemarde pas, que l'on a bien suivi de telles pistes. Hémorragie à l'Errance raconte la même histoire que Heurt-Limite. Sous un angle d'autodéfense différent. L'est des choses qui sont difficiles à dire, alors dans un premier temps l'on utilise l'ouate et le scalpel de la poésie. On coupe à même les chairs, l'on empêche le sang de couler avec un gros tampon de coton. L’on n’a rien d'autre. L'on évite la gangrène, la pourriture, l'anéantissement. L'on se sert de mots qui dévoilent et qui voilent en même temps. L'on en dit le maximum en essayant d'en proférer le minimum. L'on se berce de paroles, l'on chante sur les plaies comme le vol du corbeau sur les eaux du déluge. Cela nettoie et cela soulage. Mais l'hémorragie, l'hémorage se remet à suinter. Jusqu'au jour où l'on a le courage de reprendre le mal à sa racine. L'on n'explore plus les mots, l'on se contente de nommer et de dénombrer les séquences du réel par leur véritable nom. Regard aigu sur la blessure intarissable. 

Jean-François Jacq se raconte. Tout. Pas de zone d'ombre. Une enfance, pire que sans amour. D'indifférence. Tout de suite, le puits de la solitude. N'en sortira plus jamais. Tentera plusieurs fois de remonter vers la margelle et l'air libre. Toujours quelqu'un, toujours un enchevêtrement de situations, toujours une attention maladroite, qui vous renvoie croupir dans l'eau stagnante de l'agonie solitaire. La souris blanche empêtrée dans le laboratoire de la vie. Dans le jeu de l'oie de l'existence, tombe systématiquement sur les mauvaises cases. Les seuls qui pourraient l'aider sont englués exactement dans le même itinéraire. Le plus affreux ce n'est ni le viol, ni la faim, ni l'asile, ni les trahisons, c'est la pierre tombale de la déréliction que vous refermez sur vous. Zombie de misère parmi les vivants qui se détournent de vous et cadavre en voie de glaciation éternelle à l'intérieur. Vous n'êtes plus rien. Votre langue se paralyse. Votre pensée s'éteint comme une flambée de cheminée que l'on laisse agoniser le soir, par crainte d'un incendie la nuit. Automutilation de la parole et automutilation de la poésie, de l'acte de faire, de la tentation de vivre. Mourir est même une tâche insurmontable. L'on reste en vie car décéder demanderait trop d'effort. Ce n'est pas la solitude qui vous enserre, c'est vous, qui vous glissez dans son sarcophage le plus étroit. Vous êtes momie, mais pas celle du pharaon. Vous êtes l'Heautontimoroumenos baudelairien. Le romantisme et la pause en moins. Un couloir en cul-de-sac, plus moyen d'avancer, ni de reculer, ni de jouer au passe-muraille. Heureusement que vous avez perdu la notion d'auto-culpabilité et cette manie si humaine de vous apitoyer sur votre sort. C'est que vous avez égaré votre propre destin. Pouvez retourner tel un égrégore de vous-même sur les lieux de votre vie, il y a longtemps que vous n'y êtes plus, depuis cet incertain moment où vous n'avez plus habité chez vous. Soyons précis, dans votre tête. Vous êtes votre propre alien. 

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Reste l'errance. Plus d'itinéraire. Simplement marcher car il ne vous reste rien d'autre à faire. Plus de territoire. Déjà plus un être humain, et presque plus un animal. Vous avez encore quelques tactiques de survie. Mais en voie d'amenuisement. Vous ne pouvez plus compter que sur vous-même. Vous ne passez pas le relais aux autres, car vous êtes sempiternellement en partance de vous-même. Faut que ce soient les autres qui vous arrêtent. Vous indiquent la voie de sortie. Un mal de chien à les reconnaître. Vous vous rapprochez d'eux mais prenez la fuite dès qu'ils s'approchent de vous. La main tendue, vous n'avez ni la force de la prendre, ni celle de la mordre. Au bout de la solitude, il n'y a que l'autre. Mais c'est à vous de vous apprivoiser à lui. Le chemin se parcourt toujours seul. Et le plus difficile est de continuer à avancer quand il disparaît.

Jean-François Jacq trouvera l'issue de secours. En fait non pas une porte de sortie, mais un vaste portail d'entrée. Celui qui le restitue dans son identité d'homme, le bipède collectif par excellence. Suffit que l'on s'adresse à vous. Poste restante. Le récif solitaire qui a survécu à la tempête. Que la vague ne submerge plus, mais embrasse.

A lire. Pour ceux qui douteraient qu'il existât une littérature qui ne soit pas d'insignifiance.

Damie Chad 

 

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