Jean-François JACQ Jean-François Jacq

Théâtre

Le théâtre, une seconde peau. 

Si je ne fais plus actuellement de théâtre, c'est parce que la compagnie au sein de laquelle j'ai longtemps travaillé (de 1993 à 2006) a été, en partie, décimée. Nous continuons à effectuer sporadiquement des lectures, fort de cette apprentissage dont le principal moteur fût Dan Vimard, à l'origine de la compagnie Kaléidoscope Bleu, installé dans les Frigos, à Paris XIII. Notre façon d'exercer le théâtre était, avant tout, un engagement commun, mêlant à la fois la danse et la musique s'incluant en tant que création dans chacune de nos pièces. J'ai eté présent, en tant que metteur en scène, comédien, co-auteur, sur douze pièces de théâtre. Je n'ai jamais envisagé le fait de monter sur scène comme un acte solitaire, tout étant une question d'écoute et de circulation sur un plateau, le fruit d'un travail en commun pour lequel nous ne nous rémunérions pas, l'argent gagné étant systématiquement réinvestit dans la compagnie. Ce fût notre façon de résister et d'excercer ce que nous considérions tous comme étant un travail des plus enrichissants. Dans Kaléidoscope Bleu, le plus important fût finalement le mot compagnie. Oui, ce que nous avons fait relève du questionnement, du regard que nous avons tenté de jeter sur notre époque, et d'un esprit relevant du compagnonnage, mot pris dans son sens le plus strict. Certaines pièces ont nécessité des mois de répétitions (six mois pour Le nuage en pantalon, de Maïakovski, autant pour La nuit juste avant les forêts de Koltès). De 1992 à 1995, afin de parfaire mes connaissances et de ne pas seulement mettre un pied dans le fonction d'acteur, le but étant de maîtriser au mieux tous les aspects qui en découlent, je me suis inscrit à l'université Paris VIII, où j'ai été licencié en Arts du Spectacle, mentions études théâtrales. Le théâtre a été, en ce qui me concerne, un véritable défi. D'abord via la reprise de mes études, que j'avais arrêté en BEP. Mon passage à l'université Paris VIII - c'est là que je fis la rencontre de Dan Vimard, en 1993, autour d'un grand atelier ayant abouti à une première pièce de théâtre avec la compagnie Kaléidoscope Bleu, Ce chantier de nos mémoires, celébration des deux cents ans de l'abolition de l'esclavage -, a su répondre à cette boulimie de culture et de connaissances dont je me suis nourri, en réponse au chaos de mon existence. Se donner l'art et les moyens de s'en sortir au travers de ce qu'il représente. De 1995 à 2005, j'ai privilégié mon travail théâtral, tout autant que mon travail d'écriture, au point que je n'ai travaillé que très sporadiquement durant ces dix années. De ce Grand Désastre qu'a été ma vie, dont la finalité a été de passer plusieurs années à la rue, jusqu'à mes vingt-trois ans, je ne pouvais m'en sortir que de cette manière. Le théâtre, d'abord et avant tout, comme le seul lieu où tout un chacun s'arrête, le lieu où l'on se tient absolument à l'écoute. Le dernier lieu, dans ce sens ? Cette nécessité d'être entendu, je l'ai acquise comme étant la réponse absolue à mes tourments. Et aux travers des mots et émotions que nous lancions sur le plateau, sans jamais perdre de vue ce travail essentiel sur les silences. Car le théâtre est intensément habité de tous ces temps miraculeux de silence que nous nous accordons afin de donner à entendre, temps de recevoir les messages et l'ampleur de l'humaine circulation et de ce souffle émanant d'un plateau.

Décimée, donc. Les décès de Dan Vimard et de Delphine Joubert, danseuse de notre compagnie, nous ont démontré à quel point notre travail était intensément Kaléidoscopique par essence, et que chacun de nous représentait un angle de ce Kaléidoscope, et qu'il nous est désormais impossible d'envisager de prolonger ce travail dans son ensemble, de la même façon. 

Ici et là, quelques photos en souvenir de ce travail théâtral, de cette mémoire profondément humaine où l'on remet tout à zéro d'une création à l'autre, où l'on se donne les moyens de privilégier l'instant clé, l'éphémère. Seules ces photos en portent à la fois la trace et le vibrant témoignage. D'où la nécessité de vous les présenter.

Jean-François Jacq      

Photo Ateliers Kaléidoscope Bleu